Station Shell de la petite ville de Mercedes, Corrientes, (ici, on dit la ville “virgule” la province, car de nombreuses cités ont des noms identiques) ce 21 juillet 2009.
Dans quelques heures, nous devons partir pour le clou de la quinzaine, Esteros del Ibera, une réserve naturelle à laquelle on accède après 120 kilomètres de piste. La petite famille s’affaire autour du Tampicar, chacun dans son rôle : Chloé dévide une nième boite de mouchoirs pour confectionner à ses PetShops un petit lit douillet (quelqu’un pourrait-il écrire à Chloé pour lui dire que les PetShops dorment très bien sur une table nue ?), Hugo et Léna se disputent 3 millimètres carrés et la seule des deux DS à laquelle il reste trois nanowatts d’energie, Valérie converse activement avec le pompiste ( “ellyénoporreufavorreu” , traduction baluchonnée de “el lleno por favor” ) et, toutes ces diversions étant magistralement menées, ni vu ni connu, je me glisse derrière le camping-car et je retire la boite des eaux noires (non-spécialistes, devinez !) et je file discrètement la vider dans les toilettes de la station. Je dis discrètement parce qu’il est excessivement difficile de se sentir discret quand on trimballe une grosse boite suspecte contenant 17 kg d’excréments tout en affrontant le regard curieux de toute la faune qui gravite autour des stations services d’ici, en sachant que les toilettes ciblées seront pendant un petit moment olfactivement très marquées et que je devrais donc évacuer les lieux rapidement. Or, au moment de tirer la chasse, j’inspecte les lieux : où est donc la chasse d’eau ? Finalement, je trouve : un astucieux système de robinet se situe face au réceptacle. Pendant que je m’émerveille sur le génie argentin, je tourne le dit robinet. Et je me prends la douche sur la tronche. Grande classe.
Pour mon retour vers le parking, succès garanti. Ne rigolez pas, la séquence toilette pour Christian Jules, c’est tous les jours. Rien de mieux pour intégrer les modes de vie locaux.

Léna avec le petit agneau
Ceci étant dit, je fais la connaissance peu de temps après, sur le trottoir de ladite station service, d’un personnage extrêmement sympathique. Au cours de la conversation, il se présente : “el veterinario”. Et, comme pour prouver sa bonne foi, il disparaît quelques instants chez lui (en face) et revient … avec deux magnifiques agneaux. Il me confie qu’il en a la garde car la maman a été mangée… slurps.
Chloé en aura une version légèrement remaniée. Puis nous parlons de notre projet de prendre la piste dès cet après midi, je lui demande si il pense que ça peut passer avec notre véhicule. La discussion prend évidemment pas mal de temps, mais il s’accroche et me répète patiemment et lentement chacune de ses phrases – nous aurons souvent l’occasion de d’avoir ce type de comportement, vraiment sympathique ! Apparemment, les 60 premiers kilomètres sont affreux, les 60 suivants mieux. Bon. Il me répète à plusieurs reprises que, en temps de pluie, il faut absolument que je roule au milieu, jamais sur les côtés, sinon c’est le carton assuré. Nous voilà avertis.

El veterinario de Mercedes, Corrientes
Pour conclure, il nous lance un petit “suerte”, et un dernier rappel sur la conduite au centre.
Nous regonflons nos septs pneus et nos cinq estomacs et, à 14 heures et des poussières, nous nous élançons vers la Ruta Provincial 40, la “spipst” comme dit Chloé.
Les premiers mètres sont éprouvants pour les novices que nous sommes : la piste ne comporte pas d’ornières infranchissables (des sacrés trous quand même) mais la surface est tellement bosselée que notre camping-car fait un vacarme épouvantable, à l’intérieur comme à l’extérieur. Les enfants reposent leurs crayons et leurs cahiers, car il leur est impossible de tenir quoi que ce soit. Au bout de cinq kilomètres, une fine pluie commence à tomber, nous nous concentrons et nous continuons d’avancer. Plus que 115 kilomètres ! Au dixième kilomètre, Valérie se saisit du Lonely Planet et relit à voix haute que cette “piste est moins affreuse que ce qu’on prétend souvent, sauf en cas de forte pluie.” Je l’écoute religieusement (comme d’habitude, je sais <- et hop, dix points !) tout en regardant les gouttes de plus en plus grosses s’écraser sur mon pare-brise. La discussion tourne rapidement autour d’un seul thème, devons nous ou pas continuer. Le tampicar dérape de plus en plus, le centre de la piste n’est pas toujours praticable et il est vrai que, sur les côtés, la piste étant parfois très bombée, nous penchons sérieusement sur le côté. Comme toujours, les enfants choisissent ce moment pour nous faire une bataille rangée sur un sujet dont seul des enfants ont le secret ( “Maman, Hugo a dit que gnagnagna” “Oui mais Hugo y m’a fait gnagnagna” “Et bé moi ze men fou Hugo il é connasse dabor” etc.) Kilomètre vingt, il vente et pleut des cordes, je vois une piste qui part vers une estancia, et dont l’accès me laisse un dégagement pour me garer, ce que je fais. Les enfants se déchaînent de plus belle, Valérie veut s’arrêter, je veux essayer de continuer sans en être vraiment convaincu (mais si on s’arrête là, comment allons-nous faire le reste du continent, me dis-je mollement) … j’arrête le moteur et j’engueule tout le monde. En images :
(c’est flou, je sais, je vous parlerai plus tard de mes problèmes techniques avec la vidéo – il vaut mieux une mauvaise vidéo que pas de vidéo du tout, non ?)
Dans le bruit ambiant, j’entends un “tut tut tuuuut”, un 4×4 nous a vus et contourne notre tampicar, malgré la pluie la fenêtre avant se baisse, je fais de même et qui vois-je ? Notre “veterinario” ! Il revient d’un champ dont il s’occupe un peu plus loin. Il nous rassure : aux arbres, qu’on voit à l’horizon (ici, c’est magnifique mais archi-plat), la piste est meilleure, et pour lui on peut continuer. Hop, un petit “suerte” et il repart. Et nous aussi.
Cahotant et glissant nous avançons tant bien que mal, dépassons les fameux arbres. La piste s’améliore, oui. De environ 0,001 %. Il continue de pleuvoir des cordes, le ciel est très gris donc pas de possibilité d’amélioration à court terme, et nous sommes maintenant à 30 kilomètres du départ, donc à mi-chemin de la première portion. Outre les petites glissades en crabe et les ornières, j’ai aussi peur de m’embourber. Lorsque je ralentis trop, je patine de plus en plus fortement : l’arrêt m’est donc interdit, sous peine de ne pas repartir. C’est à ce moment qu’un des troupeaux de vaches décide de nous faire un petit salut argentin…
Mais nous repartons ! Au bout de deux heures et environ 60 kilomètres, nous attaquons la deuxième partie de la piste qui est effectivement un peu meilleure … par temps sec. La pluie forte a cessé, mais manifestement elle a dû tomber très fort car j’ai l’impression de rouler sur un ruban de mélasse. La lumière tombe (le soleil se couche vers 18 heures par ici et en cette saison), et je fatigue sous l’effet de la tension permanente induite par cette conduite vraiment spéciale. Entre deux petites averses, je m’arrête pour me dégourdir les pattes, ce qui donne ceci :
Juste avant la tombée de la nuit, nous voyons une voiture sur le bord de la route, le conducteur nous fait signe et nous nous arrêtons. Ils sont en panne, à 20 kilomètres de notre destination. Nous leur proposons de monter avec nous mais ils préfèrent attendre, et nous tendent un papier sur lequel est griffonné le téléphone de leur service d’assistance – rapatriement (le mobile ne passe évidemment pas par ici). Ils nous demandent de laisser le mot à la police lorsque nous serons arrivés à destination, qui transmettra, et pensent être secourus d’ici quelques heures (leur service d’assistance doit coûter le prix de mon camping-car). Nous repartons, en regardant un peu inquiets au loin le ciel très sombre vers lequel nous roulons, dans lequel crépitent régulièrement de beaux éclairs. Les nuages, la lumière si particulière du soleil qui vient de se coucher, nos phares qui éclairent la piste … les couleurs de l’ensemble sont magnifiques, presque surnaturelles – je prends ceci à la volée, le pare-brise ne rend pas la photo très propre mais, promis, je n’ai pas retouché les couleurs :

piste de esteros de ibera
La nuit tombe ensuite pour de bon, toute la famille est tellement concentrée que les dernières dizaines de kilomètres se déroulent dans un silence d’or. J’ai l’impression de conduire avec cinq paires d’yeux ! Et ça donne une quinzaine de kilomètres de ça :
Au bout de quatre heures et demie de route, nous passons enfin sur un pont (sans voir ce sur quoi nous passons), puis devant le panneau du village Colonia Carlos Pellegrini où vivent toute l’année quelques centaines d’âmes. Nous décidons de bivouaquer à côté du poste de police (c’est un grand nom : un policier dans un bâtiment anodin), où Valérie s’est rendue pour lancer l’assistance au couple de voyageurs en panne. Il résulte de la discussion avec le policier, qui accepte de surveiller vaguement notre camping-car pour la nuit, que nos voyageurs attendront un jour ou deux avant d’être secourus : l’orage a coupé les communications téléphoniques ! Pendant ce temps, j’inspecte les alentours, comme d’habitude avant de fermer les volets. Avec Léna, nous voyons à peine à une centaine de mètres quelques maisons réparties autour des pistes détrempées qui servent de voirie, (pas d’éclairage public bien sûr dans le coin), apercevons un cheval qui hennit en galopant de manière un peu erratique sur la route, encore affolé par l’orage, et dans ce silence un peu inquiétant et seulement troublé par quelques chiens qui aboient encore, nous décidons de rentrer dans notre petit tampicar et de nous octroyer une nuit bien méritée.
Quelle aventure!!! Elle s’est faîte attendre mais elle en valait la peine (mais ce n’est pas pour autant que tu nous mettes autant de temps d’ici la prochaine!). J’ai bien aimé la prière quasi inaudible après le passage des vaches pour que le camping car avance.
En tout cas, 4h30 pour faire 120 km, je ne me plaindrai plus de la route du médoc!
Ouahouhhhh, je crois que j’ai un faible pour la vidéo mémorable post engueulade qui ne peut être qu’authentique vu la tête des concernés….. Vous rentrez dans le vrai baroude pour notre plus grande joie et assouvir notre soif d’aventure et d’extrême….Merci pour cette tranche de vie, bisoux et reposez-vous bien de toutes ces émotions.
Enfin l’aventure…..J’espère que le camping car ne s’est pas dévissé de partout avec les vibrations! (Je pense surtout à notre fixation de l’auvent.)
J’aime beaucoup la séquence vache et la séquence post engueu dans le role du chef serein, imperturbable et inoxydable. Dans deux ans de route tout ça vous apparaitra comme des broutilles.
Henriette: Génial!!! ça me redonne envie de voyager (Albéric: quel culot) – Grace aux videos j’ai vraîment l’impression de vivre avec vous. Bien sûr, je suis à l’abri, moi! et les sensations sont moins fortes. Mais quand même, j’aimerais bien être une petite souris dans votre camping car.
Albéric: je suis effondré! D’après Henriette j’ai le même style que toi!
Même si je ne mets pas beaucoup de commentaires, moi aussi je suis de très près vos aventures ! Les vidéos sont super, ça permet de bien se rendre compte des situations… pas toujours drôles à ce que je vois 🙂 Bon courage et profitez-bien de tous ces beaux paysages.
Atmosphére…Atmosphères…Vous avez vraiment une tête d’atmosphère!…
C’est comme si on y était…Bravo pour le talent du narrateur, on en redemande.(Quel culot,nous qui sommes confortablement installés dans un transat)
Vous connaissez la citation:”L’homme ne se connaît bien que quand il se mesure à l’obstacle”.Nous vous souhaitons quand même pas trop de troupeaux divers et variés traversant les “spipst”.Vous serez les plus forts!
“spispt”, “splatch”,”plouf”, “bêê…bêê…”, “meuh”…en espagnol dans le texte!
Heureux de voir vos frimousses.
Gros bisous.
Tout ça c’est que du bluff. C’est pas possible des enfants aussi sages que sur la vidéo. C’est comme les américains sur la lune, à mon avis : des acteurs dans un faux décor.
D’ailleurs, on voit bien que c’est un décor rien qu’en voyant les sièges zèbres…
“bé moi ze men fou Hugo il é connasse dabor” Connasse c’est espagnol ça ? Merci pour le récit passionant en tout cas. Hâte de voir la suite 😉